17 %. C’est la part des hommes de 25 à 39 ans qui, en France, affirmaient en 2022 ne pas souhaiter d’enfant, contre 12 % dix ans auparavant. Pourtant, le désir d’enfant n’a jamais totalement déserté les rangs masculins : la majorité des hommes l’éprouve, mais à des degrés et à des moments qui varient, modelés par leur environnement, leurs proches, leur parcours professionnel.
Les mutations sociétales bousculent les repères, mais la question du désir d’enfant chez les hommes demeure chargée de paradoxes. Pression sociale, aspirations personnelles, héritages familiaux : tout s’entrecroise, et le résultat n’a rien d’un schéma simple ou figé.
Le désir d’enfant chez les hommes : une réalité souvent méconnue
Réduire le désir d’enfant à une histoire de femmes, c’est passer à côté de la complexité du sujet. Les dernières études le montrent : l’envie de devenir parent concerne aussi les hommes, mais sur des rythmes et selon des critères bien différents. Chez de nombreux hommes, ce désir prend son temps, souvent conditionné par la stabilité professionnelle, une assise financière et une relation de couple solide. Ces étapes se posent comme autant de prérequis avant d’envisager la paternité.
Pour beaucoup, la perspective de perdre une part de leur autonomie fait hésiter. Avant même de songer à la logistique d’un enfant, l’idée de devenir père résonne comme un point de bascule identitaire. Ce cheminement vers la paternité ressemble alors à un compromis permanent entre l’envie de transmettre et la volonté de préserver sa liberté.
Plusieurs éléments expliquent ces dynamiques :
- Le désir de paternité ne suit pas une trajectoire prédéfinie : il peut émerger tard, fluctuer, voire s’atténuer ou se renforcer selon les circonstances de la vie.
- Pour beaucoup d’hommes, envisager la parentalité reste lié à un sentiment de sécurité matérielle et affective.
La société valorise encore l’idée que les hommes devraient d’abord s’imposer dans leur travail avant de fonder une famille. Résultat, leur désir d’enfant s’exprime souvent plus tard, teinté d’hésitations. Réussite professionnelle, peur de l’engagement que suppose l’arrivée d’un enfant, poids de la norme… tout cela contribue à une parole masculine sur l’envie d’enfant qui peine à gagner en visibilité.
Pourquoi certains hommes ressentent-ils (ou non) l’envie de devenir père ?
Le désir de paternité puise ses racines dans l’intime, mais aussi dans le social. L’histoire familiale, l’enfance, la relation au père : ces éléments laissent une marque profonde. Certains hommes se sentent traversés par une envie contrariée, prise entre l’influence de leur propre histoire et la volonté de tracer un chemin différent.
La notion de liberté pèse lourd dans la balance. Beaucoup redoutent de voir leur quotidien bouleversé, de sacrifier leur espace personnel ou de se retrouver happés par une responsabilité constante. La réussite individuelle et l’autonomie restent valorisées, ce qui repousse régulièrement l’idée d’un enfant à plus tard.
Voici des réalités souvent évoquées :
- Pour certains, l’arrivée d’un enfant n’a de sens que si elle se construit sur une base stable tant sur le plan affectif que matériel ; sans cela, ils repoussent le projet.
- D’autres, marqués par des relations familiales complexes, craignent de reproduire certains schémas ou de se retrouver en échec dans leur rôle de père.
Mais il n’y a pas que la peur. L’envie peut émerger, parfois sur le tard, à la faveur d’une rencontre, d’un désir de transmission ou d’un projet de famille à réinventer. Le désir d’enfant n’est jamais figé : il évolue, s’interroge, se nourrit d’incertitudes et d’espoirs, et parfois s’affirme là où on ne l’attendait plus.
Entre biologie, histoire personnelle et société : les multiples influences
Le désir d’enfant chez les hommes ne relève ni d’un simple réflexe biologique, ni d’une pure construction sociale. Il s’ancre au croisement de multiples influences : la biologie, l’histoire personnelle, la pression du collectif. La fertilité masculine diminue avec l’âge, même si ce phénomène reste largement ignoré. À partir de la quarantaine, la qualité du sperme baisse, réduisant la probabilité de concevoir. Pourtant, l’idée selon laquelle les hommes auraient tout leur temps pour devenir pères perdure dans les imaginaires collectifs.
Le contexte professionnel et la recherche de sécurité repoussent souvent le projet d’enfant. Les modèles familiaux se diversifient : progression des femmes dans la sphère professionnelle, reconnaissance des familles homoparentales, émergence de parcours parentaux moins traditionnels. Ailleurs, comme chez les Tsimané ou chez les Hadza, le nombre d’enfants reste associé au statut social, tandis que l’implication des grands-mères auprès des plus jeunes a transformé l’évolution de l’espèce humaine.
L’ocytocine, cette hormone qu’on associe traditionnellement à l’instinct maternel, joue aussi un rôle clé dans l’attachement du père à son enfant. Les recherches en neurosciences confirment que l’engagement parental n’est pas réservé à la mère biologique. Adoptions, recompositions familiales, chaque expérience de parentalité s’enrichit d’un enchevêtrement de facteurs : histoire familiale, attentes sociales, contraintes économiques, mais aussi, de plus en plus, choix individuel. La parentalité se réinvente, loin des modèles rigides d’autrefois.
Paternité, doutes et envies : ouvrir la discussion sans tabou
La question de la paternité est longtemps restée en retrait, souvent cantonnée à la sphère privée. Aujourd’hui, le désir d’enfant chez les hommes gagne en visibilité, mais il reste traversé par de multiples doutes. Entre crainte de perdre leur indépendance, nécessité de garantir une sécurité professionnelle ou financière, et sentiment de devoir “être prêt”, nombreux sont ceux qui hésitent à franchir le pas.
Les langues se délient, portées par des réseaux d’entraide comme l’association Pauline et Adrien, ou par des professionnels (psychologues, sexothérapeutes, thérapeutes de couple). Cet accompagnement se révèle particulièrement précieux lorsque le projet parental patine ou rencontre des obstacles. Flavie Taisne, spécialiste de l’accompagnement des jeunes parents, constate que les hommes osent de plus en plus nommer leurs incertitudes, leur besoin d’être rassurés.
Quelques points clés émergent dans ces cheminements :
- La qualité du dialogue au sein du couple constitue un appui majeur pour surmonter les périodes de doute.
- Le recours à un soutien psychologique, une démarche appuyée par le CNGOF en cas de difficultés à concevoir ou à s’engager dans la parentalité, permet de clarifier les peurs, d’affiner le désir.
Les ouvrages de René Frydman, Marcel Rufo ou Christine Schilte rappellent que le désir d’enfant ne se plie pas aux injonctions. Il surgit, se construit, parfois se fait attendre ou se dérobe. Mettre les mots sur ses envies et ses réticences, sans détour ni jugement, redonne à la paternité toute sa singularité. Ouvrir le débat, c’est aussi laisser la place à chaque homme d’écrire sa propre histoire, sans modèle imposé ni verdict tout prêt.
